Les premiers making-of au temps du cinéma muet – quelques exemples de films français [1/2]
Article en deux parties: P1, P2
Dans l’introduction de son ouvrage devenu classique Le Documentaire, un autre cinéma1, Guy Gauthier reconnaît que le cinéma documentaire est un genre filmique mal identifié. Après avoir analysé “le prétendu système binaire documentaire/fiction”, il décrit la préhistoire du genre, c’est-à-dire son ancrage dans la photographie documentaire. Il dépeint ensuite la période 1900-1930, celle du muet, le ‘temps de l’image-reine’, et propose pour cette époque une catégorisation qui pourrait être résumée ainsi :
- les reportages et films d’actualité ;
- les témoignages (comme les Archives de la Planète (1909-1931) d’Albert Kahn, qui rassemblent des films et des autochromes) ;
- les récits d’exploration, de voyage (par exemple La Croisière noire, Léon Poirier, 1926) ;
- les documentaires romancés (Nanouk, Robert Flaherty, 1922) ;
- les documentaires sociaux (Drifters, John Griersons, 1929) ;
- les documentaires scientifiques et techniques (les premiers films de Jean Painlevé) ;
- les films dont la technique de prise de vues (l’enregistrement de la réalité, l’hostilité au studio) relève du documentaire tandis que le montage est d’avant-garde (Berlin, symphonie d’une grande ville, Walther Ruttmann, 1927 ; L’Homme à la caméra, Dziga Vertov, 1929).
Si les films retenus par Gauthier apparaissent diversifiés, son choix est pourtant délibérément sélectif : “les films sur l’art, les films scientifiques, les films didactiques, n’ont été pris en compte qu’exceptionnellement (pour leur apport aux techniques, ou pour rendre compte de la diversité de l’œuvre d’un auteur éclectique)”2. C’est ainsi que les films documentaires sur le cinéma lui-même, qui appartiennent à la catégorie des films didactiques et techniques, ne sont pas pris en compte. Pourtant, si l’on s’en tient à l’époque du muet qui nous intéressera ici, ce mode réflexif du cinéma a suscité l’attention des premiers réalisateurs, et il a donné lieu à plusieurs types de documentaires. Une recherche dans les articles, ouvrages, et sites spécialisés sur le muet permet de dresser la courte liste suivante [les références des films sont données par ordre chronologique en notes de bas de page pour ne pas alourdir le texte avec des énumérations] :
- Trois films didactiques sur l’histoire, alors récente, du cinéma3 ;
- Deux films didactiques expliquant comment sont fabriqués les dessins animés4 ;
- Onze films sur les visites de studios ou sur les usines de traitement des films ; ce sont pour la plupart des films promotionnels destinés à faire connaître au grand public ces nouveaux établissements et l’importance croissante de l’industrie cinématographique5 ;
- Douze films sur les coulisses d’un ou plusieurs tournages, parfois qualifiés de films ‘Behind the scenes’, et que l’on décrirait actuellement comme des ‘making-of’6.
Les sujets peuvent aussi être multiples, ainsi plusieurs films montrant des visites de studios comportent également des scènes de tournage.
Au total, on dénombre une trentaine de films documentaires sur le cinéma datant des premières années du médium, avant la généralisation du parlant, et une douzaine seulement qui peuvent être qualifiés de making-of. Il est possible que certains nous aient échappé. Ce nombre peut paraître faible, mais l’on doit se souvenir que 70 % des films muets produits aux États-Unis sont considérés comme perdus, et le pourcentage est estimé entre 75 et 90 % pour le monde entier7.
La plupart des films qui nous sont parvenus de cette époque et se rattachent au genre naissant du making-of sont courts ou très courts ; pour certains, les conditions de réalisations sont obscures, les noms des réalisateurs inconnus. Parmi ces films, huit sont français. L’ambition initiale du présent article était de tous les décrire, mais seuls cinq d’entre eux ont pu être visualisés. Ce sont ces exemples qui sont étudiés ci-dessous.
Quelques exemples de films français
Alice Guy tourne une phonoscène dans les studios de Buttes-Chaumont, réalisateur inconnu, 1907, durée 1’59
Vers 1900, Léon Gaumont et Georges Demenÿ mettent au point un procédé permettant d’associer un appareil de prise de vues avec un phonographe amplifié à l’aide de grands pavillons acoustiques.
Lorsque la scène est enregistrée, un enregistrement sonore réalisé au préalable est diffusé sur le phonographe à pavillons. Les artistes miment alors leurs rôles en effectuant une sorte de play-back qui est filmé. C’est le démarrage manuel de chacun des appareils qui permet d’effectuer la synchronisation approximative entre le son et la séquence filmée. Lors de la projection, c’est également le démarrage concomitant du phonographe à pavillons et du projecteur qui permet la synchronisation.
En 1902, Gaumont lance une collection de films sonorisés par ce procédé de double enregistrement. Il les nomme phonoscènes. Ce sont des enregistrements de courte durée, une à deux minutes. On considère que plus de 770 phonoscènes seront produites par Gaumont enter 1902 et 1917. Les catalogues proposent des monologues, des sketchs, des airs d’opéra, puis vers la fin de la période des chansons d’artistes connus (Mayol, Dranem, Polin…). Il en subsiste environ 140 sous la forme de films, et seulement une vingtaine de couples film/disque sonore.
Alice Guy a travaillé pour la société Léon Gaumont et Cie dès 1895. Elle a été tour à tour secrétaire, scénariste, metteuse en scène, directrice de studio des sociétés successives de Léon Gaumont. Elle est la première femme réalisatrice de l’histoire du cinéma (La Fée aux choux, 1896). En 1902, Gaumont lui confie la réalisation de phonoscènes. On estime qu’elle a tourné 90 à 100 phonoscènes entre 1902 et les premiers mois de 1907, juste avant son départ aux États-Unis.
Un film réalisé en janvier 1907 au studio des Buttes-Chaumont montre Alice Guy et ses assistants en train de tourner une phonoscène. Ce document est considéré comme le premier making-of de l’histoire du cinéma.
Film 01 – Alice Guy tourne une phonoscène, réalisateur inconnu, 9 janvier 1907, durée 1’59. Source : Cinémathèque française
La phonoscène en question est perdue, mais il en subsiste une image et une description dans un catalogue Gaumont. Ces éléments ont permis à l’historien du premier cinéma Maurice Gianati d’établir que la scène filmée par Alice Guy est le ballet Le Bal des Capulet au tout début de l’opéra Roméo et Juliette de Charles Gounod.
Le film est réalisé en plusieurs séquences par un opérateur inconnu. Alice Guy arrive et se dirige vers le phonographe à pavillons qu’elle démarre. Son assistant place les acteurs, il porte des lunettes noires pour se protéger de la lumière intense. Il s’agit probablement d’Étienne Arnaud, qui deviendra lui-même réalisateur. Alice Guy dirige alors la prise de vue en se plaçant entre le phonographe et la caméra. Elle se tourne plusieurs fois et dirige alors son regard vers l’opérateur qui la filme dans son travail, montrant que ce premier making-of est parfaitement intentionnel. Le photographe de plateau s’installe et prend un cliché, caché sous son voile noir. L’opérateur déplace le champ vers la droite et montre l’impressionnant dispositif d’éclairage et le panneau réflecteur sous les lampes, puis il revient sur la scène où les comédiens évoluent (voir les sources citées en note pour plus de précisions sur ce petit film devenu célèbre)8.
Autour de La Roue, Blaise Cendrars, 1923, durée 11’, film muet sur le tournage de La Roue (Abel Gance, 1923)
Blaise Cendrars découvre le cinéma en 1912 lors d’un séjour à New York. Il se procure alors un appareil de projection et se passe souvent des films. Il est alors enthousiaste envers ce média nouveau. En 1919, il publie un récit en 55 chapitres conçu comme un scénario de film, La fin du monde filmée par l’Ange N.-D., avec des illustrations de Fernand Léger. À cette époque, il fait paraître des fragments qui seront réunis en un volume, L’ABC du cinéma, publié en 1926. Le cinéma tient alors une grande place dans sa vie et son œuvre, et il publie d’autres textes sur le cinéma jusqu’en 1936. Il travaille aussi sur une quinzaine de projets cinématographiques, mais aucun n’aboutira à un film. En 1921, grâce à Jean Cocteau, il réussit pourtant à réaliser à Rome un film qui sera ensuite perdu, La Venera Nera (La Vénus Noire).
En 1918, Abel Gance qui recherchait des rescapés de la Grande Guerre pour son film J’accuse l’engage comme assistant et figurant. Selon son témoignage enregistré lors d’un entretien radiophonique : « Mon cher, dans J’accuse, je faisais tout : l’homme de peine, l’accessoiriste, l’électricien, l’artificier, le costumier, de la figuration et de la régie, l’aide opérateur, le vice-metteur en scène, le chauffeur du patron, le comptable, le caissier, et dans Les Morts qui reviennent [la scène des morts qui se relèvent pour accuser les vivants, à la fin du film], je faisais un macchabée, tout empoissé dans de l’hémoglobine de cheval, car on m’avait fait perdre mon bras une deuxième fois pour les besoins de la prise de vues. »9.
L’année suivante, Cendrars devient à nouveau l’assistant de Gance sur le tournage de La Roue qui sort seulement en 1923. Son ami Fernand Léger assiste à la première du film en décembre 1922, il rédige un article où il exprime son enthousiasme10 et réalise des affiches pour ce premier “film-fleuve” (presque 7 heures) du cinéaste, avant son Napoléon (1927). En 1929, Cendrars dédicace son roman Le Plan de l’Aiguille à Abel Gance, mais cette dédicace disparaît lors de la réédition du livre en 1946 ; Gance s’était en effet montré très réservé sur les qualités de cinéaste du poète que pourtant il admirait… À partir de la fin des années 1930, Cendrars ne s’intéresse plus directement à la réalisation de films, mais le cinéma continuera à l’inspirer11.
Blaise Cendrars suit intégralement et au plus près le tournage de La Roue. Il réalise à partir de cette expérience un court film, Autour de La Roue, qu’il présente comme un “documentaire anecdotique sur l’œuvre d’Abel Gance présenté par son assistant”.
Quelques séquences de ce film méritent d’être relevées.
Une séquence présente une locomotive munie d’une ‘plate-forme agrafée’ (selon l’expression de Cendrars) permettant la réalisation de plans spectaculaires en pleine vitesse. Ce dispositif avait été imaginé par le chef opérateur Léonce-Henri Burel.
Film 02 – Autour de La Roue, Blaise Cendrars, 1923 (timecode 4’08)
Une autre séquence montre Abel Gance en costume et chapeau discutant avec l’actrice Ivy Close (Norma) dans la cabine de la locomotive, tandis que l’opérateur Burel, perché sur le tas de charbon du tender, filme la scène.
Film 03 – Autour de La Roue, Blaise Cendrars, 1923 (Abel Gance, Ivy Close, L.-H. Burel ; timecode 3’)
Gance est parfois hors champ, par exemple lorsqu’il dirige Gabriel de Gravone (Élie) dans la neige, à 4000 mètres d’altitude affirme Cendrars…
Film 04 – Autour de La Roue, Blaise Cendrars, 1923 (Gabriel de Gravone ; timecode 2’05)
Monté en plusieurs plans, le résultat peut être repéré dans le film de Gance.
Film 05 – La Roue, Abel Gance, 1923 (Gabriel de Gravone ; timecode 4h32’48)
Dans une séquence tournée lors du carnaval de Nice, Gance est à l’avant d’une automobile ; un opérateur vient de filmer Ivy Close (Norma) et Pierre Magnier (Hersan) assis sur le siège arrière, et il tourne sa caméra. Plusieurs personnes dont le réalisateur et l’actrice saluent l’opérateur de Cendrars en lui lançant des fleurs, selon la tradition du carnaval.
Film 06 – Autour de La Roue, Blaise Cendrars, 1923 (Abel Gance, Ivy Close, Pierre Magnier ; timecode 7’55)
La scène correspondante dans La Roue montre en gros plan le ‘spleen’ de Norma (le terme est de Gance) nouvellement mariée contre son gré à Hersan.
Film 07 – La Roue, Abel Gance, 1923 (Ivy Close, Pierre Magnier; timecode 2h44’55)
Une séquence montre “la complexité des appareils nécessaires à la bonne prise de vues d’une simple main essayant d’arranger des tuiles sous la pluie”.
Film 08 – Autour de La Roue, Blaise Cendrars, 1923 (Gabriel de Gravone ; Abel Gance ; timecode 7’47)
Dans La Roue, cependant, la scène ne se déroule pas sous la pluie mais par grand froid. Le héros Élie est obligé de se réchauffer les mains et le corps après avoir procédé à l’arrangement des tuiles du toit. Le plan tourné sous la pluie artificielle n’a donc pas été retenu au montage. Il est possible que le tournage était difficile et que Gance ait modifié son scénario.
Film 09 – La Roue, Abel Gance, 1923 (Gabriel de Gravone ; timecode 3h50’52)
Le court-métrage documentaire, banc d’essai des cinéastes débutants à la fin de l’époque du muet
Guy Gauthier remarque que de grands noms du cinéma ont commencé leurs carrières en réalisant des court-métrages documentaires : « Le documentaire, du fait qu’il supporte mieux la brièveté que le film narratif (ce qui correspond à un problème de distribution commerciale, mais aussi d’esthétique), a souvent été le moyen de faire ses premières armes, ce qui fait qu’il tombe souvent dans l’oubli. Aussi n’est-il pas étonnant que quelques courts métrages de la fin du muet et du début du parlant soient signés de noms de cinéastes devenus illustres : Chartres (Jean Grémillon, 1924) ; La Tour (René Clair, 1928) ; La Zone et Au pays des chiffonniers (Georges Lacombe, 1928) ; À propos de Nice (Jean Vigo, 1930). »12.
Sans doute moins connus que les noms qui précèdent, Pierre Chenal (assisté de Jean Mitry) et Jean Dréville ont aussi effectué leurs débuts à cette époque et en réalisant des documentaires sur le cinéma.
Paris-Cinéma, ou Les Coulisses du cinéma, réalisation Pierre Chenal assisté par Jean Mitry, tournage automne 1928, sortie octobre 1929, durée 49′, documentaire français sur le cinéma
En 1918, deux lycéens de 14 ans deviennent amis et décident de se choisir des pseudonymes ; Jean-René-Pierre Goetgheluck, au nom difficile à prononcer, devient Jean Mitry, et Philippe Cohen, qui estime que son patronyme sonne trop juif, choisit de s’appeler Pierre Chenal, formé à partir de l’anagramme de son nom, Cheno, auquel il préfère le ‘singulier’ Chenal13. Tous deux sont férus de cinéma. Ils travaillent ensuite comme dessinateurs et caricaturistes pour la presse et réalisent aussi des affiches de films.
C’est après avoir livré une affiche chez Gaumont que l’on propose à Chenal de visiter un studio où travaille le metteur en scène Louis Feuillade. Séduit, il décide alors de s’orienter vers le cinéma. D’après son propre témoignage, comme il ne connaissait pas grand-chose au côté technique du métier, il prend le parti d’apprendre en tournant un documentaire dans lequel on montrerait comment on fabrique un film. Le film qui deviendra Paris-Cinéma a été réalisé par les deux amis, mais comme c’est Pierre Chenal qui a réussi à obtenir le financement, le film est signé de lui seul, et Jean Mitry en est le coréalisateur (ou le directeur technique selon le générique). Ce travail sera déterminant pour la suite de leurs carrières respectives.
À partir de 1930, Jean Mitry devient historien et critique du cinéma ; il a réalisé aussi quelques films. Pierre Chenal devient cinéaste. Avant la guerre, il réalise plusieurs films dont les plus connus sont La Rue sans nom (1933), Crime et Châtiment (1935) avec Harry Bauer, L’Alibi (1937) avec Louis Jouvet et Erich von Stoheim, La Maison du Maltais (1938) et Le Dernier Tournant (1939) avec Michel Simon. Au début de la guerre, il émigre en Argentine où il poursuit sa carrière de cinéaste. À son retour en France après la guerre, il réalise à nouveau une dizaine de films.
Le titre d’origine du documentaire, Paris-Cinéma, laissait entendre qu’il pourrait s’agir d’un film sur Paris ; il sera re-titré Les Coulisses du cinéma six mois après sa sortie.
Avant de décrire ce film, il convient de signaler que les sources qui le référencent ne sont pas d’accord sur sa durée. Pour la Cinémathèque française et le livre des Éditions Dujarric sur Pierre Chenal déjà mentionné, il dure 26 minutes. Pour le site de l’association Unifrance et la plate-forme film-documentaire.fr, il dure 31 minutes. Selon l’IMDb, il dure 39 minutes. Enfin, le catalogue GP Archives (Gaumont Pathé Archives) indique une durée de 49 minutes, ce qui correspond effectivement au film que l’on peut actuellement visionner. Comme le cinéaste a aussi réalisé cette même année 1929 un film publicitaire sur les ateliers du laboratoire cinématographique Pathé14, il est possible que des séquences de ce dernier figurent dans Paris-Cinéma. L’hypothèse est néanmoins fragile puisque selon le témoignage de Chenal lui-même, ce serait plutôt l’inverse, une partie des Coulisses du cinéma aurait été incluse dans ce documentaire15…
Paris-Cinéma, ou Les Coulisses du cinéma est divisé en trois parties :
- la première sur les industries cinématographiques : fabrication d’un appareil de prise de vues (Debrie Parvo), précisions techniques sur les objectifs récents, les pellicules et leur développement ;
- la seconde sur les dessins et poupées animés : visites auprès du dessinateur André Rigal, d’Alain Saint-Ogan, le créateur de Zig et Puce, du réalisateur de films d’animation Ladislas Starevitch ;
- la dernière partie concerne la mise en scène : visites de studios, suivies de deux reportages sur deux tournages de films.
Le film de Pierre Chenal est donc tout à la fois un documentaire sur les techniques de cinéma, les visites de studios, et les coulisses de tournages.
Pour une description détaillée de ces trois parties, on consultera le catalogue GP Archives (Gaumont Pathé Archives).
Le souci pédagogique du réalisateur se remarque particulièrement dans la première partie qui comporte plusieurs séquences explicatives. Un seul exemple sera décrit ici, mais nous en observerons d’autres un peu loin à propos des reportages sur les deux tournages.
Chenal explique le fonctionnement d’un objectif particulier, le Diastréphor [le site de la Cinémathèque française nous apprend qu’il s’agit d’un “objectif à lentilles cylindriques s’adaptant devant un objectif pour déformer l’image en l’élargissant ou en l’amincissant pendant la prise de vues comme une anamorphose mobile”]. Selon les termes du réalisateur, le dispositif “permet de traduire des émotions particulières”. La séquence est illustrée par le maniement de l’objectif lors de la prise de vue, en alternance avec le rendu enregistré, semblable à la vue déformée qu’aurait un homme en état d’ivresse.
Film 10 – Paris-Cinéma, Pierre Chenal, 1929 (timecode 5’23)
Le tournage du film Le Capitaine Fracasse, Alberto Cavalcanti et Henry Wulschleger (assistant et scénariste), 1929
En 1928, Alberto Cavalcanti réalise Le Capitaine Fracasse d’après le roman de Théophile Gautier. Le reportage de Chenal sur le tournage commence par une séquence sur la construction des décors dans le studio de la rue Francœur, suivie d’une vue sur le chef électricien qui procède à l’alimentation électrique. Une scène montre ensuite le réalisateur dirigeant les “scènes de l’auberge” du film.
Film 11 – Paris-Cinéma, Pierre Chenal, 1929 (Cavalcanti ; timecode 33’07)
Il s’agit du tournage de l’arrivée du Duc de Vallombreuse (Charles Boyer) à l’auberge.
Film 12 – Le Capitaine Fracasse, Alberto Cavalcanti, 1929 (Charles Boyer ; timecode 24’)
Cavalcanti tourne ensuite une scène où le personnage d’Isabelle, jouée par l’actrice néerlandaise Lien Deyers, est “au désespoir”. On remarque que les ardoises présentées par l’assistant pour l’identification du plan (430) ne sont pas encore munies de claps ; le film tourné est en effet muet et la synchronisation sonore du clap n’est pas nécessaire. Le metteur en scène donne ses instructions pour le réglage de l’éclairage, et un script enregistre la prise de vue dans le cahier de tournage.
Film 13 – Paris-Cinéma, Pierre Chenal, 1929 (Cavalcanti, Lien Deyers ; timecode 34’20)
Le plan s’inscrit dans la séquence où la gitane Chiquita (Pola Illéry) est entrée par la fenêtre dans la chambre d’Isabelle afin de la prévenir de se méfier de Vallombreuse.
Film 14 – Le Capitaine Fracasse, Alberto Cavalcanti, 1929 (Lien Deyers, Pola Illéry ; timecode 51’45)
Chenal montre les prises de vues de plusieurs scènes, en racontant pour chacune une petite anecdote. Ainsi, des figurants costumés en valets sont appelés précipitamment pour jouer une scène où ils installent une table. Isabelle pour qui la table est dressée n’apparaît pas sur la contre-plongée choisie pour le reportage.
Film 15 – Paris-Cinéma, Pierre Chenal, 1929 (Cavalcanti ; timecode 35’13)
Film 16 – Le Capitaine Fracasse, Alberto Cavalcanti, 1929 (Lien Deyers ; timecode 1h02’55)
On amène des vaches sur le plateau pour tourner laborieusement quelques plans dans un décor de grange rustique.
Film 17 – Paris-Cinéma, Pierre Chenal, 1929 (Cavalcanti ; timecode 38’30)
Sur une prise de vue de la représentation d’une pièce de “Comédie italienne”, le metteur en scène Cavalcanti donne ses instructions pour le réglage de la lumière. À côté de ses opérateurs, il donne ensuite ses directives verbalement aux comédiens. Puis un homme à lunettes (Cavalcanti ?) utilise un porte-voix. Le plan sur la bouche vociférant, filmé depuis le pavillon du porte-voix, montre que l’apprenti-cinéaste qu’était alors Chenal réalise déjà un effet digne des grands cinéastes de l’époque. Enfin, Cavalcanti marque la fin de la prise de vue par un coup de sifflet.
Film 18 – Paris-Cinéma, Pierre Chenal, 1929 (Cavalcanti ; timecode 39’20)
Dans le montage du film, les gros-plans sur une vache mangeant du foin ponctuent la représentation à laquelle assiste le héros Sigognac (Pierre Blanchar).
Film 19 – Le Capitaine Fracasse, Alberto Cavalcanti, 1929 (Pierre Blanchar ; timecode 15’29)
Chenal a aussi filmé dans les décors et avec des acteurs du Capitaine Fracasse quelques scènes qui ne figurent pas dans le film. Ce sont trois montages didactiques qui exposent la façon de tourner un travelling, une prise de vue à ras de terre, et une prise de vue effectuée à l’aide d’une caméra portable à moteur électrique. Ils sont réalisés un peu à la manière de l’exemple de l’objectif anamorphique de la première partie, en alternant une vue sur le travail de l’opérateur et le résultat filmé.
Film 20 – Paris-Cinéma, Pierre Chenal, 1929 (timecode 35’50)
Le tournage du film Quartier Latin, Augusto Genina, 1929
Le documentaire de Pierre Chenal s’achève sur un reportage à la gare de Lyon où Augusto Genina dirige les dernières prises de vues de son ultime film muet, Quartier Latin. Au moment du tournage, en 1928, la filmographie pléthorique de Genina compte 69 films muets ; l’année suivante, il réalisera son premier film parlant, Prix de Beauté, avec Louise Brooks.
Note : l’analyse qui suit ne comporte aucune correspondance entre le documentaire et le film de Genina car celui-ci n’a pu être visionné lors de la rédaction du présent billet.
Chenal montre tout d’abord les projecteurs installés pour le travail de nuit, puis la préparation d’une locomotive, arrosée d’eau pour les besoins du tournage. Dans la séquence suivante, Genina donne ses indications à la star du film, son épouse l’actrice Carmen Boni.
Film 21 – Paris-Cinéma, Pierre Chenal, 1929 (Augusto Genina, Carmen Boni ; timecode 42’44)
Dans la scène suivante, Carmen Boni est filmée sur un quai, en train de se frayer un chemin à travers la foule.
Film 22 – Paris-Cinéma, Pierre Chenal, 1929 (Carmen Boni ; timecode 44’)
Dans le dernier extrait, des caméras sont embarquées sur une automobile. La séquence montre ensuite le démarrage simultané de plusieurs trains auquel Pierre Chenal fait allusion dans ses souvenirs : “À la gare de Lyon, on montrait le tournage de nuit de Quartier Latin de Augusto Genina, avec Carmen Boni. Trois trains démarraient simultanément : dans le premier, Carmen Bon agitait son mouchoir en direction du monsieur qu’elle abandonnait sur le quai ; le deuxième tirait les wagons sur lesquels on avait installé les sunlights pour éclairer la scène. Sur le toit d’une voiture du troisième train, notre petite équipe filmait le tout… Pour cinq mille francs, fallait le faire !”16.
Film 23 – Paris-Cinéma, Pierre Chenal, 1929 (Augusto Genina ; timecode 46’50)
- Guy Gauthier (avec la participation de Marie-Thérèse Gauthier et Daniel Sauvaget), Le Documentaire, un autre cinéma : Histoire et création, 5e édition, Armand Colin, 2015 (1995 pour la première édition). [↩]
- Guy Gauthier, op. cit., p. 268. [↩]
- Quelques documents sur l’histoire du cinématographe, réalisateur inconnu, 1920, durée 23’37, référence 2000GS 05519 sur Gaumont Pathé Archives ;
La machine à refaire la vie, Julien Duvivier & Henri Lepage, 1924, durée initiale 3h ;
Histoire du cinéma par le cinéma, par le pionnier (oublié) Raoul Grimoin-Sanson avec la collaboration de Louis Forest, 1927, durée 43’, Conservatoire national des arts et métiers. [↩] - How Animated Cartoons Are Made, Wallace A. Carlson, 1919, durée 10′ ;
Alice’s Wonderland, Walt Disney & Hugh Harman & Carman Maxwell, 1923, durée 12’. [↩] - The Old Gaumont Graphic studios in Shepherd’s Bush, 1910, réalisateur inconnu, durée 2’28, Archive Reuters, référence VLVAD9V15JG8EE8LQFZS0X0Q0QJTQ sur British Pathé, comporte une scène de tournage (making-of) ;
Universal Studios Behind the Screen, Al Christie, 1915, durée 10′ ;
A Trip through the World’s Greatest Motion Picture Studios (Thomas H. Ince Studios in Culver City, California), Hunt Stromberg, USA, 1920, durée 26’ ;
A visit to the Gaumont Studios at Shepherds Bush London, 1921, réalisateur inconnu, Gaumont Graphic (inclus un film de 1910) ;
A Trip to Paramountown, Jack Cunningham, 1922, durée 20’ ;
The City of Stars (Universal Studios), H. Bruce Humberstone, 1924, durée 20′ ;
MGM 1925 Studio Tour (Metro-Goldwyn-Mayer), réalisateur inconnu, 1925, durée 32’, visible ici ;
A Trip Through the Paramount Studio, réalisateur inconnu, 1927, durée 9’ ;
L’usine de Vincennes de la société Kodak-Pathé, réalisateur inconnu, 1927, référence CM 1759, Gaumont Pathé Archives, durée 9’34 ;
Une cité cinématographique moderne – Les studios des Cinéromans-Films de France à Joinville-le-Pont (France), réalisateur inconnu, 1929, durée 19’24, référence CM 1386, Gaumont Pathé Archives, visible ici ;
Une cité française du cinéma, Pierre Chenal, 1929, durée 10′. [↩] - Alice Guy tourne une phonoscène dans les studios de Buttes-Chaumont, 1907, durée 1’59, référence 1907GDOC 00001, Gaumont Pathé Archives ;
Making Moving Pictures: A Day at the Vitagraph Studios, J. Stuart Blackton, 1908, durée 1’, visible sur le site de la Library of Congress, Vitagraph paper print fragments. No. 8, timecode de 1’47 à 2’47 ;
How Motion Pictures Are Made and Shown, réalisateur inconnu, 1912, Edison Company ;
How to Make Movies, Charlie Chaplin, 1918, ce film n’a jamais été achevé ;
La série des Screen Snaphots de Columbia Pictures, à partir des années 1920 ;
Autour de Vingt Ans après, 1922, durée 13’, sur le tournage de Vingt Ans après, film en dix épisodes de Henri Diamant-Berger, 1922 ;
Autour de La Roue, Blaise Cendrars, 1923, durée 11’, sur le tournage de La Roue, Abel Gance, 1923 ;
Carnet de notes autour de Salammbô, tourné par l’un des membres de l’équipe du film Salammbô, Pierre Marodon, 1925, vraisemblablement Léonce-Henri Burel, le directeur de la photographie, durée 8’ ;
Abel Gance tourne Napoléon, réalisateur inconnu, 1925, Référence FRIGO 1., Gaumont Pathé Archives, durée 5’15, sur le tournage de Napoléon, Abel Gance, 1927 ;
Paris-Cinéma, Pierre Chenal assisté à la réalisation par Jean Mitry, 1929, durée 49′ ;
Autour de l’Argent, Jean Dréville, 1929, durée 40’, sur le tournage de L’Argent, Marcel L’Herbier, 1928 ;
Autour de La Fin du monde, Eugène Deslaw, 1930, durée 18’, sur le tournage de La Fin du monde, Abel Gance, 1931. [↩] - Sources : Library Reports on America’s Endangered Silent-Film Heritage – First-ever Database Tracks Existing Films Worldwide, Library of Congress, December 4, 2013 ; Pascal Gavillet, Les films muets forment la part maudite de l’histoire du septième art, La Tribune de Genève, 13 août 2022 ; Presumed Lost sur le site SilentEra.com. [↩]
- Sources : Maurice Gianati, Alice Guy et les phonoscènes, in Maurice Gianati et Laurent Mannoni (dir.), Alice Guy, Léon Gaumont et les débuts du film sonore, John Libbey Publishing Ltd, 2012, pages 110 à 120 ;
Laurent Mannoni, Alice Guy tourne une phonoscène, Cinémathèque française ;
Alice Guy tourne une phonoscène dans les studios de Buttes-Chaumont, réalisateur inconnu, 1907, durée 1’59, référence 1907GDOC 00001, Gaumont Pathé Archives ;
Tom, Alice Guy – Partie II / L’âge d’or chez Gaumont (1906-1907), Under the deep, deep sea, 21 avril 2024 ;
Thomas Louis Jacques Schmitt, Phonoscènes Gaumont, Du temps des cerises aux feuilles mortes, sans date. [↩] - Blaise Cendrars, Blaise Cendrars vous parle ; Qui êtes-vous ; Le paysage dans l’œuvre de Léger ; J’ai vu mourir Fernand Léger, Textes présentés et annotés par Claude Leroy, à partir d’entretiens radiophoniques avec Blaise Cendrars, Denoël, 2006, p. 190 [↩]
- Fernand Léger, “La Roue”, sa valeur plastique (1922), in Fonctions de la peinture, Folio, 1997, pp. 55-60. [↩]
- Sources : Blaise Cendrars, Hollywood – La Mecque du Cinéma, suivi de L’ABC du cinéma et d’Une Nuit dans la forêt, Textes présentés et annotés par Francis Vanoye, Denoël, 2001, pp. X-X11 (Préface de Francis Vanoye) ;
Blaise Cendrars (1887-1961), film réalisé par Claude-Pierre Chavanon, écrit par Miriam Cendras et Claude-Pierre Chavanon, émission « Un siècle d’écrivains », numéro 188, diffusée sur France 3, le 10 mars 1999, film documentaire franco-suisse, 47 minutes, témoignage de Cendrars à partir de 28’25 ;
Christine Le Quellec-Cottier, L’impossible générique de fin – Blaise Cendrars et le cinéma, Archipel, Numéro 34 — Silence on tourne la page !, 2011 ;
Jean-Carlo Flückiger, Cendrars et le cinéma, Nouvelles éditions Place, collection “Le cinéma des poètes”, 2017 ;
Francis Vanoye, Cendrars et Gance à La Roue, in Leroy, Claude [éd.], Blaise Cendrars 20 ans après, Klincksieck, 1983, p. 189-192. [↩] - Guy Gauthier, op. cit., p. 45. [↩]
- Dialogue entre Pierre Chenal et Jean Mitry : « Cohen c’est comme Lévy, postérité des fils de Jacob ! Une vraie marque de fabrique !… » « Ah, parce que t’es… » « Oui, mon bon, je fais partie du peuple élu par Dieu pour recevoir de toute éternité des coups de pieds au cul. J’aime pas tellement : comme les gentils, je préfère en donner ! » in Pierre Chenal – Souvenirs du cinéaste, Filmographie, Témoignages, Documents, présentés et coordonnés par Pierrette Matalon, Claude Guiguet, Jacques Pinturault, Collection 24 Souvenirs/Seconde, Paris, Éditions Dujarric, en collaboration avec les Amis de Ciné-sous-Bois, Aulnay-sous-Bois, 1987, p. 16. [↩]
- Une cité française du cinéma, Pierre Chenal, 1929, durée 10’56. [↩]
- Pierre Chenal – Souvenirs du cinéaste, op. cit., p. 31. [↩]
- Pierre Chenal – Souvenirs du cinéaste, op. cit., p. 27. [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Patrick Peccatte (24 octobre 2025). Les premiers making-of au temps du cinéma muet – quelques exemples de films français [1/2]. Déjà Vu. Consulté le 11 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/151en


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